Discours en vers sur l'homme (1738) - Voltaire

SECOND DISCOURS

De la liberté

Dans le cours de nos ans, étroit et court passage,
Si le bonheur qu'on cherche et le prix de vrai sage,
Qui pourra me donner ce trésor precieux?
Dépend-il de moi-même? est-ce un présent des cieux?
Est-il comme l'esprit, la beauté, la naissance,
Partage indépendant de l'humaine prudence?
Suis-je libre en effet? ou mon âme et mon corps
Sont-ils d'un autre agent les aveugles ressorts?
Enfin ma volonté, qui me meut, qui m'entraîne,
Dans le palais de l'âme est-elle esclave ou reine?
Obscurément plongé dans ce doute cruel,
Mes yeux, chargés de pleurs, se tournaient vers le ciel,
Lorsqu'un de ces esprits que le souverain Être
Plaça près de son trône, et fit pour le connaître,
Qui respirent dans lui, que brûlent de ses feux,
Descendit jusqu’à moi de la voûte des cieux;
Car on voit quelquefois ces fils de la lumière
Éclairer d’un mondain l’âme simple et grossière,
Et fuir obstinément tout docteur orgueilleux
Qui, dans sa chaire assis, pense être au-dessus d’eux,
Et le cerveau troublé des vapeurs d’un système,
Prend ces brouillards épais pour le jour du ciel même.
"Écoute, me dit-il, prompt à me consoler,
Ce que tu peux entendre et qu’on peut révéler.
J’ai pitié de ton trouble; et  ton âme sincère,
Puisqu’elle sait douter, mérite qu’on l’éclaire.
Oui, l’homme sur la terre est libre ainsi que moi;
C’est le plus beau présent de notre commun roi.
La liberté, qu’il donne à tout être que pense,
Fait des moindres esprits et la vie et l’essence.
Qui conçoit, veut, agit, est libre en agissant:
C’est l’attribut divin de l’Être tout-puissant;
Il en fait un partage à ses enfants qu’il aime;
Nous sommes ses enfants, des ombres de lui-même.
Il conçut, il voulut, et l’univers naquit:
Ainsi, lorsque tu veux, la matière obéit.
Souverain sur la terre, et roi par la pensée,
Tu veux, et sous tes mains la nature est forcée.
Tu commandes aux mers, au souffle des zéphyrs,
A ta propre pensée, et même à tes désirs.
Ah! Sans la liberté, que seraient donc nos âmes?
Mobiles agités par d’invisibles flammes,
Nos voeux, nos actions, nos plaisirs, no dégoûts,
D’un artisan suprême impuissantes machines,
Automates pensants, mus par des mains divines,
Vils instruments d’un Dieu qui nous aurait trompés,
Comment, sans liberté serions-nous ses images?
Que lui reviendrait-il de ces brutes ouvrages?
One ne peut donc lui plaire, on ne peut l’offenser;
Il n’a rien a punir, rien à récompenser.   
Dans les cieux, sur la terre il n’est plus de justice.
Pucelle est sans vertu, Desfontaines  sans vice:
Le destin nous entraîne à nos affreux penchants,
Et ce chaos du monde est fait pour les méchants.
L’oppresseur insolent, l’usurpateur avare,
Cartouche, Miriwits, ou tel autre barbare,
Plus coupable enfin qu’eux, le calomniateur
Dira: "Je n'ai rien fait, Dieu seul en est l'auteur;

"Ce n'est pas moi, c'est lui qui manque a ma parole,
"Qui frappe par mes mains, pille, brule, viole."
C’est ainsi que le Dieu de justice et de paix
Serait l’auteur du trouble et le dieu des forfaits.
Les tristes partisans de ce dogme effroyable
Diraient-ils rien de plus s’ils adoraient le diable?"
 J’étais à ce discours tel qu’un homme enivré,
Qui s’éveille en sursaut, d’un grand jour éclairé,
Et don’t la clignotante et débile paupière
Lui laisse encore à peine entrevoir la lumière.
J’osais répondre enfin d’une timide voix:

"Interprète sacré des éternelles lois,
Pourquoi, si l’homme est libre, a-t-il tant de faiblesse?
Que lui sert le flambeau de sa vaine sagesse?
Il le suit, il s’égare; et, toujours combattu,
Il embrasse le crime en aimant la vertu.
Pourquoi ce roi du monde, et si libre, et si sage,
Subit-il si souvent un si dur esclavage?"
L’esprit consolateur à ces mots répondit:
"Quelle douleur injuste accable ton esprit?
  La liberté, dis-tu, t’est quelquefois ravie:
Dieu te la devait-il immuable, infinie,
Égale en tout état, en tout temps, en tout lieu?
Tes destins sont d’un homme, et tes voeux sont d’un Dieu.
Quoi! Dans cet océan cet atome que nage
Dira: "L’immensité doit être mon partage:"
Non; tout est faible en toi, chageant et limité,
Ta force, ton esprit, test talents, ta beauté.
La nature en tous sense a des bornes prescrites,
Et le pouvoir humain serait seul sans limites!
Mans, dis-moi, quand ton coeur, formé des passions,
Se rend malgré lui-même à leurs impressions,
Qu’il sent dans ses combats sa liberté vaincue,
Tu l’avais donc en toi, puisque tu l’as perdue.
Une fièvre brûlante, attaquant tes ressorts,
Vient à pas inégaux miner ton faible corps:
Mais quoi! Par ce danger répandu sur ta vie
Ta santé pour jamais n’est point anéantie;
On te voit revenir des portes de la mort
Plus ferrme, plus content, plus tempérant, plus fort.
Connais mieux l’heureux don que ton chagrin réclame:
La liberté dans l’homme est la santé de l’âme.
On la perd quelquefois; la soif de la grandeur
La colère, l’orgueil, un amour suborneur,
D’un désir curieux les trompeuses saillies,
Hélas! Combien le coeur a-t-il de maladies!
Mais contre leur assauts tu seras raffermi:
Prends ce livre sensé, consulte cet ami
(Un ami, don du ciel, est le vrai bien du sage);
Voilà l’Helvétius, le Silva, le Vernage
Que le Dieu des humains, prompt à les secourir,
Daigne leur envoyer sur le point de périr.
Est-il un seul mortel de que l’âme insensée,
Quand il est en péril, ait une autre pensée?
Vois de la liberté cet ennemi mutin,
Aveugle partisan d’un aveugle destin
Entends comme il consulte, approuve, délibère;
Entends de quel reproche il couvre un adversaire;
Vois comment d’un rival il cherche à se venger,
Comme il punit son fils, et le veut corriger.
Il le croyait donc libre? Oui, sans doute, et lui-même
Dément à chaque pas son funeste système;
Il mentait à son coeur en voulant expliquer
Ce dogme absurde à croire, absurde à pratiquer:
Il reconnaît en lui le sentiment qu’il brave;
Iil agit cmome libre, et parle comme esclave. 
Sûr de ta liberté, rapporte à son auteur
Ce don que sa bonté te fit pour ton bonheur.
Commande à ta raison d’eviter ces querelles,
Des tyrans de l’esprit disputes immortelles;
Ferme en tes sentiments et simple dans ton coeur,
Aime la vérite, mais pardonne à l’erreur;
Fuis les emportements d’un zèle atrabilaire;
Ce mortel qui s’égare est un homme, est ton frère:
Sois sage pour toi seul, compatissant pour lui;
Fais ton bonheur enfin par le bonheur d’autrui."
Ainsi parlait la voix de ce sage suprême.
Ses discours m’élevaient au-dessue de moi-même:
J’allais lui demander, indiscret dans mes voeux,
Des secrets rérservé pour les peuples des cieux;
Ce que c’est que l’esprit, l’espace, la matière,
L’éternité, le temps, le ressort, la lumière:
Étranges questions, que confondent souvent
Le profond s' Gravesande et le subtil Mairan,
Et qu’expliquait en vain dans ses doctes chimères
L’auteur des tourbillons que l’on ne croit plus guères.
Mais déjà, s’échappant à mon oeil enchanté,
Il volait au séjour où lui la vérité.
Il n’était pas ver moi descendu pour m’apprendre
Les secrets du Très-Haut que je ne puis comprendre;
Mes yeux d’un plus grand jour auraient été blessés:
Il m’a dit: "Sois heureux!" il m’en a dit assez.





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